L’affirmation suivante n’est peut-être pas plaisante à lire, mais elle est réaliste : presque chaque adulte, un jour ou l’autre dans sa vie, aura un mal de dos, parfois bénin mais qui peut aussi devenir chronique. Parmi toutes les conditions qui touchent la colonne vertébrale, la lombalgie est de loin la plus fréquente. Un des défis pour traiter efficacement cette condition complexe et multifactorielle réside dans l’optimisation de la trajectoire clinique du patient. Un défi que les professeurs Martin Descarreaux et Andrée-Anne Marchand, respectivement du Département des sciences de l’activité physique et du Département de chiropratique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), souhaitent surmonter en étudiant l’intégration des chiropraticiens dans le système de santé publique.
« Les chiropraticiens sont des spécialistes des maux de dos. Nous voulons mettre leur expertise au service de la santé des patients dans le système public », lance le professeur Descarreaux, lui-même chiropraticien et titulaire de la Chaire de recherche internationale en santé neuromusculosquelettique. Le projet qu’il mène avec sa collègue Andrée-Anne Marchand vise à explorer comment les chiropraticiens, qui se spécialisent notamment dans le diagnostic et le traitement des douleurs à la colonne vertébrale, peuvent contribuer à optimiser la trajectoire et les résultats des patients aux prises avec une lombalgie.
« Notre projet émerge d’un besoin exprimé par les médecins spécialistes qui souhaitent prioriser les patients requérant une expertise en neurochirurgie et, ainsi, rediriger les autres patients vers le professionnel approprié », souligne pour sa part Andrée-Anne Marchand. L’hypothèse des chercheurs repose sur de l’idée que l’intégration des chiropraticiens dans les services de soins publics, au moment de faire le triage, permettrait de réduire les délais de même que le nombre d’examens non indiqués et, conséquemment, contribuer à l’amélioration de l’état de santé des patients atteints de lombalgie.
Optimiser la trajectoire du patient
Prenons un cas type : une personne ayant mal au bas du dos se rend à l’urgence ou consulte son médecin de famille; on lui prescrit alors une consultation chez le neurochirurgien, qui ensuite lui prescrit un traitement selon sa condition – physiothérapie, chiropratique, kinésiologie, chirurgie, etc.
« Dans cette trajectoire, nous voulons que le chiropraticien intercepte le patient entre la première ligne (urgence, médecin de famille) et le neurochirurgien. Il effectuera une évaluation complète, incluant les facteurs de risque d’un pronostic défavorable, qu’il transmettra ensuite au neurochirurgien. À moyen terme, nous espérons proposer une trajectoire plus rectiligne, avec une plus grande efficacité dans la prise en charge ainsi que de meilleurs résultats sur la douleur et les capacités fonctionnelles du patient », explique Martin Descarreaux, qui peut également compter sur la collaboration de Dr. Claude-Édouard Châtillon, neurochirurgien au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS-MCQ) et qui agit également comme cochercheur pour l’étude.
Celle-ci sera réalisée auprès de 140 patients référés au service de neurochirurgie du CIUSSS-MCQ. Les patients présentant une lombalgie seront dirigés aléatoirement vers un triage effectué par un chiropraticien ou directement vers le neurochirurgien. Les dossiers de tous les patients seront ensuite analysés pour déterminer si le chiropraticien et le neurochirurgien s’entendent sur la nature de la condition et sa possible évolution. Cette méthodologie permettra de mesurer les impacts potentiels du triage effectué par les chiropraticiens sur la trajectoire du patient.
« On espère observer des gains en temps et en efficacité. L’objectif ultime vise à intégrer les chiropraticiens au sein d’équipes interdisciplinaires œuvrant dans le réseau de santé publique. Le projet est réellement pensé pour le bénéfice du patient, pour améliorer sa trajectoire dans le système de santé et, ultimement, favoriser une récupération plus rapide », affirme le professeur Descarreaux.
Une première au Canada
« C’est la première étude au Canada qui adopte cette approche aléatoire au triage afin de mesurer concrètement les impacts du diagnostic et du traitement prescrit par les chiropraticiens sur la trajectoire du patient dans le système de santé public », déclare pour sa part Robert Harris, directeur général de la Fondation canadienne pour la recherche en chiropratique (FCRC), qui s’est associé à l’UQTR en accordant une subvention de 50 000 $ à ses chercheurs pour mener ce projet.
La FCRC, leader mondial dans le domaine de la recherche en chiropratique, soutient le développement scientifique de l’innovation en matière de santé neuromusculosquelettique par le biais de ses programmes de subventions et de ses collaborations. À cet égard, M. Harris ajoute que « la FCRC, est heureuse de combiner ses ressources à celles de l’UQTR, notamment en cofinançant et en faisant connaitre ce projet novateur qui vise à améliorer les services de santé au Québec comme au Canada ».
Pour la professeure Andrée-Anne Marchand, le projet est aussi une bonne nouvelle pour les étudiants inscrits au doctorat de premier cycle en chiropratique à l’UQTR : « Ce sera éventuellement un milieu de stage pour nos étudiants, qui offrira une expérience interdisciplinaire dans le système de santé. Cela ouvre la porte à de nouvelles façons de pratiquer la chiropratique et, nous l’espérons, à de nouvelles occasions d’emplois. »